En introduction, Guillaume Leblanc, délégué général du SNEP, confirme que, bien que la vente physique représente encore deux tiers des revenus, le chiffre d’affaires du streaming augmente constamment et a dépassé celui du téléchargement, représentant désormais 53% des revenus de la musique numérique. Pour lui, cette offre est arrivée à maturité et apporte la meilleure réponse au piratage. Reste toutefois à voire comment convertir de nouveaux migrants vers ces plateformes.
Pour Yvan Boudillet, Directeur de la stratégie consommateurs de Warner Music France, le streaming représente une vraie révolution. Mais il tempère en précisant que cela concerne avant tout la génération des « digital natives » qui semble avoir largement adopté ce nouveau mode de consommation, via les différentes plateformes, et en particulier YouTube. Cette impression de déferlante doit cependant être relativisée : en dépit d’un retour d’expérience sur le streaming prenant de plus en plus de place, la radio reste la plus prescriptrice, de même que la télévision.
Côté plateforme, Spotify confirme également une hausse globale de leur audience, selon Yann Thebault, son Directeur Général Europe du Sud. Les chiffres sont en hausse dans toute l’Europe, ce qui est plus qu’encourageant. Il précise toutefois que l’aventure en reste encore à ses débuts et qu’un travail d’éducation des consommateurs doit se poursuivre, notamment sur les nombreux avantages proposés par les plateformes. Il se félicite par ailleurs de la mise en place par le SNEP du « Top Singles Streaming » qui marque la reconnaissance de ce mode d’écoute.
La place grandissante du streaming est également confirmée par les études de l’Hadopi qui, d’après sa secrétaire générale adjointe Pauline Blassel, sont unanimes sur le sujet. Les différents travaux de la Haute Autorité ont notamment fait apparaitre que 85% des consommateurs de produits culturels en ligne pratiquent le streaming, là où seulement la moitié télécharge. Ce chiffre est porté par la gratuité de l’offre de base de Deezer ou Spotify, mais surtout par YouTube dont les contenus musicaux sont de loin les plus visionnés, alors qu’ils représentent moins de 15% de l’offre. Toutefois, elle rappelle que l’illicite reste encore très important, les sites de « stream-ripping » comptant 5 millions de visiteurs uniques par jour.
Philippe Le Guern, professeur et chercheur à l’Université de Nantes se montre lui plus nuancé. "Il s’agit d’univers qui ne sont pas encore parfaitement stabilisés, y compris chez les jeunes" dit-il, précisant avoir eu l'occasion d'observer plus spécifiquement le phénomène dans la région d’Angers. De grandes disparités existent encore, à l’international notamment. Les pratiques dans les pays scandinaves sont assez différentes de celles de la France par exemple. En outre, pour lui, ce nouveau médium pose de nombreuses interrogations : le portefeuille des goûts est-il en croissance ? Que change la portabilité ? Quelles sont les carrières des œuvres dans ce contexte ? Y-a-t-il une place pour le format HD ?
La gratuité apparait également comme l’autre grande force de ce mode diffusion. Pauline Blassel rappelle que dès qu’il y a un coût, même minime, on constate une baisse de la consommation. En streaming, le coût étant forfaitaire pour une consommation illimitée, celle-ci est, en conséquence, nettement supérieure et en hausse constante.
A la question du répertoire, Yann Thebault répond que sur Spotify, 80% des titres sont streamés. En comparaison, chez iTunes, seul 20% du catalogue est téléchargé. Toutefois, comme le rappelle Philippe Astor, la majorité de ces titres ne sont streamés qu’une seule fois et, comme pour le marché physique, 74% de la concentration des revenus se fait sur les 1% de titres les plus écoutés. Pour Guillaume Leblanc, il est donc très important de faire vivre le fond ce catalogue, en éditorialisant les contenus, mais également en faisant du développement à projet, en exploitant tous les canaux de la diffusion et de la promotion, traditionnels comme numériques. Spotify cherche justement à encourager la diversité. Cela repose sur 3 dimensions : l’algorithme (les recommandations), le social (les playlists générées par les utilisateurs) et l’éditorialisation (les playslists thématiques, comme celles basées sur des moments, gérées par la plateforme). Pauline Blassel rappelle que 39% des consommateurs sont prêts à acheter ce qu’ils ont écouté ou découvert. Ils sont également plus ouverts à la recommandation : 50% des consommateurs ne savent pas précisément ce qu’ils vont écouter contre 70% pour les séries et les films. Ces chiffres sont confirmés par une étude GfK citée par Yvan Boudillet. La question du prix est le troisième critère de choix après l’artiste et le genre dans le téléchargement à l’acte, en recul. Le genre prend beaucoup plus d’importance, ce qui augmente le champ des possibles. Reste à voir comment faire émerger les nouveaux artistes et comment assurer la prescription. Pour Yann Thebault, il existe deux grands types de consommateurs : les connaisseurs qui savent précisément ce qu’ils cherchent (une minorité) et ceux qui ne savent pas quoi écouter. C’est cette deuxième catégorie que Spotify cherche avant tout à accompagner.
Côté labels, Yvan Boudillet estime que le travail de promotion reste sensiblement le même qu’auparavant, plus que l’accès à un catalogue quasi-illimité. "ce qu’apporte le numérique c’est la part d’engagement et de social." Ce sentiment est confirmé par Philippe Le Guern dont les études font ressortir que les jeunes observés sont très attachés au contact avec leurs artistes. 38% les suivent sur Facebook, 22% sur Twitter et 8% contribuent à des forums dédiés.
Pour ce faire, Spotify a mis en place un outil « Social Chat » qui observe en temps réel les nouveautés générant du trafic sur les réseaux sociaux. Mais comme le rappelle Guillaume Leblanc, il ne faut pas pour autant perdre de vue que la radio reste, selon Ipsos, le médium prescripteur de référence à 70%, devant la télévision, ce que confirme Philippe Le Guern qui insiste sur la place toujours très importante d’une radio comme NRJ.
Il faut donc envisager la stratégie de prescription de manière globale, comme le souligne Yvan Boudillet, à l’image de ce que font les programmateurs de la BBC qui couplent leurs sélections radiodiffusées avec des playlists en ligne. En outre, Warner Music France a commencé à contacter les prescripteurs jugés comme influant afin de leur faire découvrir les nouveautés. On peut d’ailleurs commencer à voir apparaitre de vrais services de préconisation. Certains artistes jouent également le jeu de la prescription, comme Thomas Bangalter de Daft Punk ou Lorde qui ont créé des playlists largement suivies.
Philippe Le Guern observe deux grands types de schémas de découvertes : la sérendipité, d'une part, où les consommateurs avancent de manière quasi aléatoire et une recherche beaucoup plus rationalisé, d'autre part. Toutefois, se pose la question de rester enfermé dans ses goûts, à cause, notamment, des algorithmes. Pour Philippe Le Guern, un outil comme Shazam lutte contre cela en permettant de continuer à pratiquer une découverte active en allant vers l’information. Coté plateforme, Yann Thebault assure vouloir encourager la diversité d’où la volonté de ne pas se voir limité aux algorithmes et de continuer à réfléchir à d’autres modèles de recommandations. Pour lui, il est par exemple plus intéressant de réfléchir en termes de parcours d’artistes qu’en artistes similaires.
En conclusion, pour Yvan Boudillet, un grand travail reste à faire pour valoriser certains catalogues (musique classique par exemple). Guillaume Leblanc espère une deuxième phase de développement où l’offre serait plus ciblée et segmentée par usages. Quoi qu’il en soit, tous s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’un formidable nouveau medium pour les consommateurs qui, s’il ne remplace pas les systèmes existants, les complète et contribue grandement à enrichir leur expérience.